Kimberley Process Civil Society Coalition

Pourquoi le Processus de Kimberley n’est pas la solution aux défis actuels en matière de gouvernance minière

Alors que les préoccupations persistent quant aux liens entre l’exploitation des ressources minérales, les conflits, les violations des droits humains, la contrebande et la corruption, le Processus de Kimberley (PK) continue d’être présenté comme un modèle de référence. Son approche – un système de certification visant à interdire les diamants de conflit, qui représenteraient aujourd’hui moins de 1 % du commerce mondial – est présentée comme une réponse à un large éventail de défis liés aux minerais : du renforcement de la gouvernance des minerais critiques dans la région des Grands Lacs à l’exploitation des richesses minérales en Afrique de l’Ouest, en passant par la réglementation de l’or de conflit. Cependant, cette solution apparemment rapide est illusoire: dans la pratique, elle contribue davantage à dissimuler les problèmes qu’à les résoudre. 

Le système de certification du PK a été lancé en 2003 en réponse au financement des insurrections par les rebelles à travers le commerce des diamants dans des pays tels que la Sierra Leone, l’Angola et le Libéria. À ce jour, ces situations spécifiques, et uniquement celles-ci, relèvent de la définition restrictive du PK des « diamants de conflit », qui peut alors déclencher un embargo suspendant un pays du commerce mondial. Depuis sa création, le PK n’a officiellement qualifié que deux situations comme impliquant des « diamants de conflit » : la Côte d’Ivoire au milieu et à la fin des années 2000 et la République centrafricaine de 2013 à 2024. En réalité, le PK définit moins son succès par sa capacité à lutter contre les nombreux contextes dans lesquels les diamants alimentent la violence et les abus que par sa capacité à confirmer les situations bien plus nombreuses dans lesquelles il n’interviendra pas ou ne suspendra pas la certification.

Le bilan du PK révèle ses failles structurelles et explique pourquoi il n’a pas été – et ne devrait pas être – transposé à d’autres minéraux, où la gouvernance s’est orientée vers des approches de diligence. Ces dernières placent les entreprises, et non les gouvernements, à la tête du processus et mettent l’accent sur l’identification, la prévention et l’atténuation continue des risques. Plusieurs caractéristiques du PK montrent pourquoi il ne s’agit pas d’un modèle à suivre pour relever les défis complexes actuels en matière de gouvernance minière :

  • Inertie institutionnelle : un programme mondial, dirigé par les États et fondé sur le consensus, tend à préserver le statu quo plutôt qu’à favoriser les réformes. Après trois ans de négociations, le lancement du système de certification du PK en 2003 a été conçu comme un compromis temporaire destiné à être progressivement amélioré. Cependant, il a depuis lors stagné en raison d’un manque de motivation commune pour aller au-delà de son mandat initial et s’attaquer à des formes plus larges de violence ou des violations des droits humains associées au commerce des diamants. Pire encore, le PK a détourné l’attention de ses faiblesses et a découragé une prise en compte sérieuse – ou apprentissage – des cadres de diligence raisonnable émergeants dans d’autres secteurs miniers. 

  • La charge de la preuve et le contrôle reposent uniquement sur les États, et non sur les entreprises : le modèle de certification du PK n’est pas soutenu par des contrôles rigoureux et harmonisés. Il part simplement du principe qu’une fois qu’un gouvernement a désigné une autorité et adopté un cadre juridique, il peut garantir l’intégrité de tous les flux commerciaux nationaux, aussi complexes soient-ils. Dans la pratique, cela est irréaliste, en particulier dans les pays où le secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) est important. Malgré la complexité, le secteur privé n’est pas tenu de se soumettre à des audits indépendants, de publier les résultats ou de rendre compte de la conformité, qui sont les exigences de base de tout programme visant à se conformer aux principes de l’OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais. En conséquence, les États membres du PK ne disposent pas de données indépendantes pour vérifier la base sur laquelle les certificats sont délivrés. 

  • Incitation à dissimuler les problèmes plutôt qu’à identifier les risques : les gouvernements ayant tout intérêt à préserver la validité de leurs certificats, nombre d’entre eux ont tendance à minimiser les faiblesses et à s’opposer à une communication ouverte sur les risques. L’expérience du PK montre que cette réticence à reconnaître les problèmes a entraîné des progrès minimes au cours des deux dernières décennies en matière de renforcement de la surveillance et de la traçabilité au niveau national ou de correction des failles dans le commerce mondial. À titre d’exemple, malgré les lacunes évidentes dans la chaîne prétendument certifiée, les contrôles du PK s’appliquent toujours uniquement aux diamants bruts et cessent dès qu’une pierre est taillée ou polie, tandis que les certificats PK « d’origine mixte » peuvent être délivrés sans restriction dans les centres commerciaux et ne doivent pas préciser les pays d’origine. De même, le PK n’a réussi à bloquer qu’une poignée d’expéditions en provenance de Côte d’Ivoire et de République centrafricaine, soumises à un embargo, ce qui signifie que des centaines de milliers de carats de ce que le PK lui-même définit comme des diamants de conflit ont pénétré les chaînes d’approvisionnement mondiales. 

  • Absence de rapports publics et complaisance entre pairs : le PK démontre que lorsque les gouvernements se surveillent mutuellement sur des questions hautement techniques, sans contrôle indépendant ou spécialisé, le système devient vulnérable aux conflits d’intérêts et perd progressivement de sa rigueur. Au sein du PK, les strictes règles de confidentialité créent un manque persistant de transparence, ce qui compromet davantage la redevabilité. Les évaluations sont devenues de plus en plus rares et superficielles, avec peu de suivi ou de contrôle de la mise en œuvre des recommandations, transformant ce qui devrait être un outil de réforme en un exercice rituel consistant à cocher des cases. 

  • Limites du modèle quasi tripartite : la structure dite tripartite du PK, qui rassemble les gouvernements, l’industrie et la société civile, est inégale, car seuls les gouvernements ont le pouvoir décisionnel. Le PK offre une plateforme de dialogue, mais ne peut corriger les défauts fondamentaux du système ni inverser sa dynamique de détérioration. Ce déséquilibre est aggravé par le rétrécissement de l’espace civique et l’intimidation de la société civile, tant dans de nombreux pays membres qu’au sein même du PK, ce qui rend plus difficile l’expression de critiques ou la confrontation à des réalités inconfortables. 

  • Risque de « greenwashing » : la simplicité apparente du PK le rend politiquement attrayant en tant que « solution rapide », mais son bilan montre qu’il facilite le « greenwashing » : il crée une illusion de progrès tout en évitant le travail difficile consistant à s’attaquer à des problèmes complexes. Malgré des contrôles insuffisants et une portée limitée, les certificats du PK sont largement utilisés comme un label éthique. Parallèlement, des certificats « exempt de conflit » continuent d’être délivrés par le PK, sans restriction, pour des diamants qui alimentent le trésor de la Russie, en guerre contre l’Ukraine ou qui sont commercialisés par le notoire groupe mercenaire Wagner en République centrafricaine. 

  • Pas d’espace pour des améliorations graduelles : un système de certification de bout en bout et dirigé par les États comme le PK réduit les réalités complexes de la gouvernance à un simple verdict « oui » ou « non » sur la possibilité de commercialiser les minerais. Cette logique binaire peut rassurer les acheteurs et les consommateurs en aval, mais elle laisse peu de place à une amélioration progressive sur des défis complexes qui nécessitent un engagement à long terme plutôt qu’un désengagement par le biais de sanctions. 

Aussi fort que soit le désir de progresser rapidement pour rompre les liens entre les minerais, les conflits et les violations des droits humains, nous devons reconnaître que tout changement durable prend du temps. Même si les progrès réalisés grâce aux programmes et approches de diligence ont été inégaux et parfois décevants, ceux-ci restent un outil important qui responsabilise tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Pour rendre ces efforts plus efficaces, il convient de les intégrer dans la réglementation afin d’uniformiser les règles du jeu, de s’engager à réaliser des audits indépendants et approfondis de la chaîne d’approvisionnement, et d’accroître la transparence et le contrôle indépendant.

En même temps, nous devons être réalistes quant à ce que la diligence peut accomplir : elle peut contribuer à créer des chaînes d’approvisionnement plus propres, mais elle ne peut à elle seule garantir des résultats positifs en matière de développement ou assurer la sécurité. Ceux-ci dépendent en fin de compte d’une bonne gouvernance et d’une action coordonnée des gouvernements et des organisations intergouvernementales. Le chemin à parcourir est long et complexe, ce qui rend d’autant plus important d’éviter de se retrouver dans de nouvelles impasses en ne tirant pas les leçons des erreurs passées.

KP CSC – Coalition de la Société Civile du Processus de Kimberley

IPISInternational Peace Information Service 

IMPACT 

CENADEP RDC 

* Brad Brooks-Rubin, ancien responsable du gouvernement américain pour le Processus de Kimberley et ancien conseiller principal au Bureau de coordination des sanctions du Département d’État américain, qui a dirigé plusieurs initiatives politiques liées aux diamants, à l’or et aux minéraux, a également contribué à cette analyse. 

Follow us